Traverser un pays en train ne s’apparente pas seulement à un voyage mais plus à la découverte d’une culture, de son histoire, de ses codes. C’est aussi un lieu de rencontres, un lieu d’histoires d’Hommes qui se révèlent au fil du temps. Le temps devient d’ailleurs malléable quand on voyage en train : on l’étire avec les nombreux arrêts et pannes, on le raccourci avec les rencontres et les expériences. Plusieurs fois nous avons eu l’occasion de parcourir des pays à travers les rails, en Argentine pendant 14h depuis Buenos Aires, en Norvège sur une journée complète pour rejoindre le cercle polaire ou encore en Inde pendant 7h depuis Pondichéry mais jamais une expérience comme celle-ci nous avait autant touché, marqué. On vous emmène un peu plus de 3 jours au cœur de la Tanzanie pour un voyage en train unique et riche en rencontres et découvertes entre Dar Es Salam et Kigoma pour réaliser un rêve : observer les chimpanzés dans le Parc National de Gombe, tout à l’Ouest.
Un rêve au bout du voyage
Depuis toute petite Maryne est passionnée des primates et particulièrement des chimpanzés avec lesquels nous partageons 98% d’ADN et de nombreux comportements. En préparant ce voyage en Tanzanie, il nous était impossible de ne pas partir à la découverte du Parc National de Gombe, tout à l’Ouest du pays, sur les rives du lac Tanganyika, le 2ème lac le plus profond du Monde après le Baïkal en Russie et surtout l’un des rares endroits où il est possible de les observer.
Pour nous y rendre, 3 choix s’offrent à nous : l’avion, peu écolo et relativement cher ; le bus pendant 2 jours, moins cher mais un peu ennuyeux et fatigant et le train ! 3 jours à travers la brousse et les villages à 50 km/h. C’est bien cette dernière option que nous avons choisie. Le train offre la possibilité de prendre le temps, un luxe en voyage. Et puis convaincus que réaliser un rêve se mérite, il nous était inconcevable de simplement faire 1h30 de vol pour nous y rendre.
Pour vivre cette expérience avec nous, une chaine télé française très connue (je ne peux vous dévoiler son nom à l’heure où j’écris cette article) qui nous accompagne pour réaliser un reportage sur les voyages en train !
Jour 1 : premières rencontres et premiers retards
13h30 – Après avoir mangé dans un resto local de Dar Es Salam nous décidons de rejoindre la gare. Arrivés sur place, surprise, la gare semble fermée et les trains ne pas circuler … On tente d’en savoir plus sur les panneaux d’information mais manque de chance pour nous, tout est en swahili ! Heureusement un jeune vendeurs installé sur les marches nous aide et nous explique que la gare est en travaux. Nous trouvons donc un taxi pour rejoindre le point de départ. Le voyage commence donc en voiture !
Il est 14h, nous rejoignons une gare provisoire dans Dar Es Salam. Présentation des tickets, des passeports, sourire des tanzaniens à l’entrée peu habitués à voir des mzungus (voyageurs européens en swahili) prendre le train ici. Déjà beaucoup de gens sont installés sous le hall pour attendre le départ. On en profite pour « peser » les bagages, une pesée plutôt aléatoire qui permet aux autorités de limiter le surpoids et d’avoir une idée du poids total tracté par la locomotive.
14h30 – Annonce au micro, notre train partira avec 1h de retard, les ingénieurs attendant … les freins de la loco ! Oui oui ! Peu importe, nous avons le temps et c’est aussi pour ces aléas qu’on a choisi de traverser le pays sur les rails. On en profite pour aller manger un bout chez Consola, une femme pétillante qui tient un petit snack de l’autre côté de la gare.
16h – Le train ne semble pas vraiment prêt ! Nous partirons au final à 17h30, avec 2h30 de retard ! (et attendez la suite !) Le conducteur sonne le départ, les derniers vendeurs s’agitent pour écouler leur stock par les fenêtres, le train se met en route, tranquillement, les passagers courent pour grimper en route tant qu’il est encore temps !
18h – Nous ralentissons déjà ! Nous sommes pourtant encore à Dar Es Salam. Après quelques dizaines de minutes nous sortons de notre cabine pour essayer d’en savoir plus sur notre premier stop. C’est là que nous rencontrons Omar, un jeune tanzanien qui vit à Tabora et qui était lui aussi à Dar Es Salam.
Pendant environ 2h les ingénieurs tentent de réparer la locomotive … en vain ! Alors que la nuit tombe, une nouvelle machine arrive de Dar Es Salam pour nous permettre de repartir. Nous quittons alors notre ville de départ avec 4h30 de retard !
Un peu fatigués de la journée, nous ne traînons pas à nous poser dans notre cabine. Le chef du wagon nous apporte nos draps, nous explique comment nous installer. Nous en profitons pour lui demander pourquoi nous nous retrouvons seuls dans une cabine de 6 alors que d’autres partagent leur espace. Il faut savoir que les cabines ne sont pas mixtes en temps normal mais lorsqu’il y en a de libres, ils les réservent aux couples. Si vous voulez vous être surs d’être dans la même cabine, il vous faudra donc réserver les 6 lits ! On vous donne quand même des infos pour faciliter votre voyage en fin d’article.
Jour 2 : À la place des acteurs du train
Un jour spécial dans ce train, au milieu du bush tanzanien ! Au delà de mes 29 ans fêtés ce 25 mai, nous sommes partis à la rencontre des différents acteurs du train : cuisinier, DJ, conducteur, serveur, chef de sécurité, ils sont nombreux à faire en sorte que les voyageurs profitent du trajet en toute sérénité. Pendant ce temps là les magnifiques paysages défilent et les vendeurs ambulants profitent des nombreux arrêts (65 au total !) pour vendre leurs marchandises.
Kondo, le cuisinier du train
Il est possible de manger de vrais repas dans ce train alors, intrigués par la logistique (faire des frites dans un wagon qui secoue n’est pas donné à tout le monde), nous allons en direction de la cuisine ! Là nous y rencontrons Kondo (« et pas Condom », comme il aime répéter), le chef cuisinier. Il nous invite à rentrer, nous montre son espace de travail, nous explique son organisation et … nous propose de cuisiner avec lui !
Je mets donc la main à la pâte : oignons, poivrons, tous les légumes y passent. Chaque jour Kondo prépare environ 400 repas pour les passagers ! Inutile de vous dire que les conditions de travail, avec les mouvements du train, ne sont pas idéales.
Mzima, un des conducteurs du train
Le train poursuit sa route à travers les magnifiques paysages qu’offre la Tanzanie, on passe la tête par la fenêtre pour apercevoir la vie locale : les éleveurs déplacent leur bétail, les locaux transportent leurs marchandises ou se baladent. Maryne en profite pour s’émerveiller devant les nombreux baobabs qu’elle aime tant.
On profite du stop à Dodoma (qui est la capitale de la Tanzanie contrairement à Dar Es Salam), plus long que les autres pour nous diriger vers la locomotive. On se dit que si on a pu découvrir les cuisines de l’intérieur, alors on peut essayer de s’installer dans la loco le temps de quelques arrêts !
On demande donc aux tanzaniens présents autour de la machine mais le conducteur n’est pas encore là et seul lui est décisionnaire. On est quand même sereins, selon eux ça devrait être bon …
On nous fait signe que le conducteur est arrivés, on s’empresse donc de lui demander … il accepte aussitôt ! Nous voilà partis pour 2-3 portions de route avec Mr Mzima, Mwagara de son prénom et son équipe ! J’en profite pour réaliser un petit rêve d’enfant, même si le train n’avance qu’à 50-60 km/h, c’est quand même le pied de se retrouver face aux rails qui défilent sous nos pieds !
On en profite pour découvrir son job de l’intérieur : ils sont en fait plusieurs conducteurs qui se relaient toutes les 6 à 9h selon les portions de route, d’ailleurs un autre conducteur est présent dans la cabine pour prendre le relai si besoin. Diplômé de l’école des chemins de fer de Tanzanie, il travaille depuis une vingtaine d’années sur la ligne Dar Es Salam – Kigoma, l’expérience est d’ailleurs nécessaire puisque sur les bords des rails aucun panneau vient indiquer la vitesse limite, « c’est grâce à l’expérience qu’on sait à quelle vitesse on doit avancer » nous informe même le conducteur !
On découvre aussi que la ligne est découpée en sections pour lesquelles il est nécessaire d’obtenir une sorte de clairance. À chaque entrée, Mzima récupère le papier auprès du chef de gare sans même s’arrêter grace à une sorte d’anneau en bois (visible sur la photo).
Maryne en profite même pour se faire plaisir et sonner les 2 coups de cornes à l’arrivée en gare … façon Maryne ! Je vous laisse imaginer !
On restera finalement plus d’une heure dans la locomotive avec le conducteur du train à regarder le paysage défiler avec des yeux d’enfants. Avant de partir, je profite des 5min de lumière qu’offrent le coucher de soleil et les nuages pour faire une dernière photo.
Jonas, DJ et speaker du train
Dans chaque wagon et chaque cabine, la musique résonne, du reggae aux percus en passant par le rap local et les chants africains, interrompue par les annonces régulières des gares. Qui se cache derrière tout ça ? On décide de le découvrir en se baladant entre les wagons ! On trouvera vite la réponse à notre question : à l’entrée du wagon restaurant une petite sono (à laquelle on avait pas prêté attention jusqu’ici), est installée et en questionnant Kondo on rencontre Jonas, le DJ et speaker du train.
C’est lui qui choisi les musiques qui passent dans sa playlist, il nous propose d’ailleurs de mettre nos chansons … heureusement pour l’ensemble du train, Maryne n’a pas pu brancher son téléphone !! On aurait quand même aimer passer une chanson tanzanienne qu’on a l’habitude de chanter un peu partout avec les locaux mas tant pis, on se consolera avec … mon annonce de la station suivante ! Jonas m’a effectivement inviter à annoncer la prochaine station au micro ! Je voulais la tenter en swahili mais finalement l’anglais est quand même plus simple. Le message est court mais j’ai la pression (Jonas annonce quand même discrètement en swahili que c’est un mzungus qui va parler).
» Chers passagers, le train va entrer en gare de … je vous demande de vous tenir prêts à descendre et à ne pas rester près des portes au moment du départ, en espérant que vous avez passé un agréable voyage avec nous. Merci »
Tout le wagon restaurant m’applaudi, je suis fier et gêné mais … « Maman, je suis devenu une star ! » Enfin … la star du train, l’espace de 2min !
J’apprécie surtout cette liberté de pouvoir vivre des expériences de ce type ici, vous imaginez pouvoir annoncer la prochaine gare dans un TGV en France ou encore monter dans la locomotive ? J’ai du mal à y croire ! C’est aussi pour ça qu’on voyage, pour découvrir le pays, rencontrer des gens aux histoires variées et vivre des expériences originales.
Le soir venu, je fête mes 29 ans ! Un anniversaire original, au milieu du bush tanzanien, dans un train ! Alors que Omar m’occupe l’esprit en discutant de tout et de rien dans le wagon restaurant (je sens bien qu’il fait en sorte que je ne regarde pas derrière moi !), Maryne m’amène son gateau, préparé avec l’aide de Kondo … bon il s’agit surtout de 2 bougies posées sur 2 tranches de pain de mie mais je suis fan ! Je lis les mots de mes amis en sentant les regards des tanzaniens installés à côté.
Une fois les petites (mais belles) festivités passées, on se dirige dans la cabine et je découvre que Paulo, le guide qui accompagne l’équipe télé (et que nous allons recroiser dans le Nord du pays), a préparé toute une déco et s’est débrouillé à récupérer un gâteau personnalisé à mon nom pendant notre stop à Dodoma ! Il se met même à chanter, accompagné de Maryne, Elisa, Hélène et Omar « Jambo, Jambo bwana, Habari gani, Mzuri sana, Wageni mwakari-bishua, Tanzania yetu, Hakuna matata ! ». Un moment extra et hyper touchant puisque je comprends à quel point Paulo tenait à l’organiser.
Je me souviendrai de cet anniversaire ! Merci à Maryne pour cette mise en scène et à Paulo, Omar, Elisa et Hélène d’y avoir participé !
Jour 3 : Dernier jour et arrivée à Kigoma
Nous devions arriver à Kigoma dans la matinée de ce 3ème jour mais le train accuse un petit retard de 14h ! Peu importe, nous avons le temps et nous décidons d’en profiter pour nous balader entre les wagons, rencontrer de nouvelles personnes tout en croisant celles rencontrées la veille.
Le voyage est toujours rythmé par les nombreux arrêts, seule différence : à chaque fois c’est un ballet impressionnant de vendeurs qui remplissent les allées du train. L’équipage semble faire le plein pour assurer les repas du retour. Patates douces, oignons, tomates, cannes à sucre et même des poulets vivants dans la cuisine !
Alors qu’on s’approche du lac Tanganiyka, les paysages changent, la terre ocre laissant place aux rizières verdoyantes, pendant que les hommes jouent aux Dames avec des bouchons de bouteilles en plastique. On profite des derniers instants à bord de ce train, du dernier coucher de soleil, balancés par les mouvements des wagons en pensant à tout ce qu’on a pu vivre en si peu de temps, à toutes les personnes rencontrées qui nous ont accueillies chaleureusement, avec énormément de bienveillance.
Il est 21h30, nous arrivons à Kigoma, terminus de notre train, avec 14h30 de retard ! Nous quittons le wagon 2207 la tête pleine de souvenirs et le coeur chaud, rempli d’émotions. Nous avons hâte de prendre une bonne douche et de passer une vraie nuit reposante mais nous ne regrettons en rien d’avoir choisi l’option train pour venir jusqu’ici, au contraire.
Nous nous dirigerons dès le lendemain vers le parc de Gombe pour observer les chimpanzés rendus célèbres par Jane Goodall !
Infos pratiques pour traverser la Tanzanie en train
Avant toute chose, sachez que l’organisation en Tanzanie n’est pas aussi rigoureuse qu’en France, les informations que nous vous donnons sont valables dans une certaine mesure. Nous vous conseillons donc de les recouper avec les locaux !
Prix : 56 000 TZS (Shillings tanzaniens)/personne, soit env. 22€ en 2nd classe (cabines de 6 personnes avec lits)
Repas : env. 4 000 TZS, soit env. 1,50€
Jours de départ depuis Dar Es Salam : Vendredi et Dimanche 15h pour la 2nd classe, Mardi 15h pour la 1ère classe
Jours d’arrivée (théorique !) : Dimanche et Mardi à 7h25 pour la 2nd classe, Jeudi 7h25 pour la 1ère classe
Plus d’informations : le site www.seat61.com
Aide sur l’organisation : suite à notre voyage, l’agence Endallah, Cultural Tours (que nous vous recommandons vivement), a créé un circuit de traversée du pays en train pour rejoindre Kigoma. Elle peut organiser votre voyage (réservation des billets, présence de votre guide, acheminement jusqu’à Gombe et réservations au parc, etc), écrivez tout de suite à Marine :
Si nous avions déjà voyagé en train par le passé, nous n’avions jamais vécu une expérience aussi riche et intense. Paradoxalement, le train avance lentement, nous imaginons avoir beaucoup de temps pendant ce voyage mais les rencontres nombreuses, les découvertes, les moments passés nous empêchent de nous ennuyer. C’est aussi le seul moyen qui permet de traverser les campagnes, découvrir les paysages au coeur de la Tanzanie. Des nombreuses personnes croisées, jamais aucune n’avait encore vu de mzungus (européens) dans ce train ! On vous recommande donc vivement de vivre cette expérience !
Super voyage avec vous à bord de ce train, on y ressent sa douce lenteur de vie (et de vitesse !) mais ça vous a permis de faire de chouettes expériences, avec mention spéciale pour l’anniversaire fêté à son bord !!
J’adore les voyages en train, et nul doute que si je me rends un jour dans ce pays je tenterai aussi l’expérience !
Célia // @bouquie.bougeotte
Oh merci ! Tu as bien capté l’ambiance et le ressenti à bord 🙂 Du début à la fin ça a été un super moment, hyper riche ! Et puis pour l’anniversaire, j’ai décidé de le faire dans le RER B l’année prochaine du coup ! Ah ah !
Super article !! Ca m’a donné carrément envie de faire la même chose, le fait d’aller à la rencontre de chaque personnage « important » de la vie du train rend l’histoire encore plus originale ! Bravo 😉
Merci beaucoup Marie ! Contents que ça t’ai donné envie de faire la même chose ! Ils représentent tellement bien le train et sans eux rien ne serait pareil qu’on voulait raconter l’histoire à travers leur rencontre 🙂 Encore merci !
Super de voyager en train, le dépaysement est total.
Votre article donne envie de vivre la même expérience. 🙂
Bonsoir,
Ce voyage en train m’a vraiment interpellé. Belle expérience. De Kigoma est-il possible de prendre l’avion pour Dar es salam ou Zanzibar (pour éviter de refaire les 3 jours de voyage dans sens retour) ?
Merci
Arnaud
Hello Arnaud ! Oui expérience extraordinaire. Il est bien sûr possible de faire un Kigoma – Dar avec Air Tanzania au retour. N’hésitez pas à contacter Endallah via le formulaire pour avoir plus d’informations !